2 mars 2023
Dans le premier article de cette série, nous avons soutenu que la campagne de lettres de l’ARC sur les de prestations pour les non-déclarants n’était pas efficace. Dans le deuxième article, nous avons examiné un récent rapport de la vérificatrice générale (VG) du Canada sur les efforts déployés par Emploi et Développement social Canada (EDSC) et l’ARC pour aider les personnes de populations difficiles à joindre qui sont des non-déclarants à accéder aux prestations. Nous avons conclu que l’ARC ne connait pas l’ampleur du problème des non-déclarants et, pire encore, qu’elle n’a pas fait grand-chose pour mieux s’informer.
L’objectif de cet article est de décrire les solutions possibles à ce problème.
Notre point de départ est le même rapport de la VG, intitulé Accès aux prestations pour les populations difficiles à joindre. Il y a deux autres domaines couvert par le rapport que nous devons aborder.
Quels sont les problèmes qui doivent être résolus ?
Les solutions doivent être adaptées aux causes du problème des non-déclarants. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les gens ne produisent pas leurs déclarations. Dans une section intitulée « Pourquoi les gens ne déposent pas de déclaration » dans le premier article que nous avons rédigé il y a deux ans sur la question des non-déclarants, nous avons examiné les principales raisons identifiées dans la recherche entreprise par Prosper Canada.
Bien qu’un peu plus ancienne, l’ARC a commandé de la recherche en 2017 intitulée Obstacles associés à la production de déclarations de revenus dans les populations vulnérables. Deux énoncés dans cette recherche sont particulièrement dignes de mention dans le contexte du rapport de la VG.
« Même s’il y a une bonne notoriété des différentes prestations et des différents services financiers gouvernementaux, il n’y a qu’une compréhension moyenne du lien entre la réception de certaines prestations et la production d’une déclaration de revenus. »
Cela suggère la nécessité de sensibiliser les populations difficiles à joindre à l’importance de produire une déclaration pour avoir accès aux prestations. L’ARC mène un certain nombre d’activités de sensibilisation conçues pour régler ce problème. Il s’agit notamment de sa campagne de lettres sur les prestations pour les non-déclarants (que nous avons commentée dans le premier article de cette série), des visites en personne dans les collectivités ciblées, des lettres d’encouragement aux personnes probablement admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants et des communications avec des organismes bénévoles et communautaires qui desservent les populations difficiles à joindre.
Alors que l’ARC faisait le suivi du nombre d’activités de sensibilisation menées, la VG a constaté qu’elle « ignorait si la plupart de leurs activités ciblées de sensibilisation avaient contribué à la hausse des taux d’utilisation des prestations de certaines populations ciblées difficiles à joindre ». Cela s’est produit parce que l’ARC n’a pas mesuré les résultats de ces activités de sensibilisation. Par conséquent, la VG a recommandé l’élaboration et la mise en œuvre de mesures de rendement cohérentes axées sur les résultats pour la sensibilisation ciblée des populations difficiles à joindre.
Mais est-ce que le manque de sensibilisation à l’importance de produire une déclaration pour avoir accès aux prestations est le problème le plus important? Voici le deuxième énoncé de la recherche commandée par l’ARC sur les obstacles à la production qui mérite également d’être souligné :
« … ce qui est considéré comme la complexité du processus et le faible niveau de littératie (ainsi que des connaissances financières lacunaires) sont les difficultés les plus fréquemment invoquées [notre accent] par les personnes qui ne produisent pas régulièrement de déclaration de revenus… Ils manquent de confiance en leur capacité et vont donc majoritairement payer des gens pour produire leur déclaration. »
C’est exactement le genre de problème pour lequel le PCBMI est bien conçu.
Qu’est-ce que la vérificatrice générale considère comme une solution partielle au problème?
Il est à noter que l’objectif de la VG est d’obtenir des prestations pour les populations difficiles à joindre. La VG ne se concentre pas spécifiquement sur la question d’aider les non-déclarants à produire leurs déclarations. Cependant, comme nous l’avons dit à maintes reprises, l’aide à la production des déclarations joue un rôle essentiel pour assurer le maintien de nombreuses prestations fédérales (sans parler des prestations provinciales et territoriales).
Il convient également de noter que, même si nous nous sommes concentrés sur les commentaires de la VG concernant le travail de l’ARC visant à faciliter l’accès aux prestations, EDSC fait également l’objet de critiques similaires. D’une part, la VG a fait remarquer que l’ARC et EDSC « coordonnent également des activités de sensibilisation par l’entremise de milliers d’organismes bénévoles partout au pays qui offrent du soutien aux personnes difficiles à joindre et les aident à obtenir leurs prestations gouvernementales. » D’autre part, la VG a conclu que l’ARC et EDSC « n’avaient pas une stratégie suffisamment intégrée pour les personnes ayant besoin d’une aide supplémentaire.»
Par conséquent, la VG a recommandé que :
« [a]fin d’améliorer l’intégration et l’efficacité des activités ciblées de sensibilisation, l’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada devraient collaborer pour établir une expérience de service à la clientèle continu et cohérent en vue de répondre aux besoins des personnes qui nécessitent un niveau de soutien élevé pour accéder aux prestations. »
L’ARC et EDSC ont accepté cette recommandation. Dans sa réponse à cette recommandation, l’ARC a indiqué que :
« [c]ette collaboration comprendra la définition de la portée du soutien que les deux entités fourniront, la détermination des lacunes en matière de service et l’élaboration de stratégies précises pour certaines populations, tout en respectant les rôles et responsabilités respectifs des entités dans le cadre de leurs mandats et pouvoirs prévus par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi de l’impôt sur le revenu. »
Il s’agit d’une évolution très bienvenue! Une collaboration plus étroite de l’ARC avec EDSC devrait s’avérer avantageuse pour l’ARC et le PCBMI en particulier. Pourquoi?
Dans l’un de nos articles précédents intitulé Administrateur ambivalent : une contradiction dans la relation de l’ARC avec le PCBMI, nous avons donné quatre raisons pour lesquelles nous pensons qu’EDSC est un bon choix (peut-être mieux que l’ARC) pour travailler avec le PCBMI. Même si EDSC ne prend pas en charge la gestion du PCBMI de l’ARC, ses compétences devraient aider l’ARC à introduire de meilleures pratiques au sein du PCBMI, dont certaines sont décrites dans d’autres articles sur ce site Web (voir par exemple, ici et ici).
Avec le temps, nous pourrons dire si l’ARC et EDSC réussissent à collaborer de façon productive ici. Étant donné que les ministères et les agences sont tenus de rendre compte chaque année des progrès qu’ils ont réalisés pour donner suite aux recommandations qu’ils approuvent dans les divers rapports de la VG, nous réexaminerons cette question lorsque plus d’information sera disponible sur la nature de cette collaboration accrue.
Bien qu’une collaboration plus étroite entre EDSC et l’ARC sur cette question soit la bienvenue, elle n’est pas acquise d’avance. La collaboration entre les ministères et agences fédéraux peut être difficile, car chaque partenaire doit réagir aux pressions internes qui ne sont pas toujours bien harmonisées entre les entités collaboratrices.
EDSC et l’ARC ne sont pas à l’abri de ce risque. La VG souligne les projets pilotes d’EDSC et de l’ARC – dans ce dernier cas, le programme pilote de subventions de trois ans du PCBMI de l’ARC est expressément cité en exemple – récemment entrepris pour travailler avec des groupes communautaires, mais où la prestation de services intégrés est absente pour répondre aux besoins de ceux qui ont besoin d’un soutien individualisé. Donc, même lorsque la collaboration semble être un bonne façon de régler un problème, cela ne se produit pas toujours.
Une autre partie de la solution ? Utilisez le PCBMI !
En l’absence d’une collaboration étroite, l’ARC pourrait encore faire davantage pour aider les populations difficiles à joindre à produire leurs déclarations. Le plus évident est de mieux utiliser le PCBMI.
En lisant les mises à jour de l’ARC sur sa campagne de lettres sur les prestations pour les non-déclarants dans ses Rapports sur les plans ministériels et les résultats, il est frappant de constater que l’ARC n’établit aucun lien avec le PCBMI. (À en juger par les indicateurs de rendement clés de l’ARC, l’une des raisons est que l’ARC considère la campagne de lettre sur les prestations pour les non-déclarants comme une initiative de son programme de prestations et le PCBMI comme un service de son programme d’impôt sur le revenu.) L’ARC ne déclare même pas le pourcentage de destinataires de lettres qui ont produit une déclaration et qui ont eu recours au service du PCBMI. Rappelez-vous, d’après le premier article de cette série, que les chercheurs ont noté que les destinataires trouvaient que les lettres sur les prestations pour les non-déclarants étaient promotionnelles et non personnalisées. Cela donne à penser que les lettres ne fournissaient pas, par exemple, de renseignements sur un organisme d’accueil du PCBMI dans le quartier du destinataire où il pourrait obtenir de l’aide gratuite pour préparer et produire ses déclarations.
Mais même si l’ARC se rend compte de l’importance d’établir des liens plus étroits entre la question des non-déclarants et le PCBMI, elle se heurtera tout de même à des défis opérationnels. Le plus important est la capacité très limitée du PCBMI. Comme le montre notre Mise à jour de 2022 sur l’évolution du PCBMI, au cours de la période des impôts 2022, le PCBMI n’a aidé que 77,6 % des clients servis en 2019 (année de pointe) et 83 % des clients servis en 2016 (la première année où les données sont disponibles). Ce piètre rendement est en partie attribuable au nombre d’organismes d’accueil qui participent au PCBMI : au cours de la période des impôts 2022, le nombre d’organismes d’accueil représentait 88,7 % du nombre d’organismes inscrits pour la période des impôts 2020 (année de pointe).
L’ARC compte sur son programme pilote de subventions de trois ans pour renforcer la capacité du PCBMI en recrutant et en retenant les organismes d’accueil. Nous demeurons sceptiques quant au fait que ce programme augmentera véritablement le nombre d’organismes d’accueil qui offrent des services du PCBMI. Mais il est important de se rappeler que ce sont les bénévoles des organismes d’accueil qui fournissent réellement les services du PCBMI. Nous craignons que ce soit là que réside la contrainte de capacité de base, car nous estimons que le nombre de bénévoles a diminué chaque année depuis qu’il a atteint un sommet pendant la saison des impôts de 2019.
De façon anecdotique, lorsque nous parlons aux coordonnateurs des cliniques, le message que nous entendons constamment est qu’ils fonctionnent à pleine capacité en ce moment. (Beaucoup ne veulent pas faire connaître leurs services car ils disent qu’ils ont suffisamment de difficulté à répondre à la demande actuelle.)
Utiliser le PCBMI de façon plus intelligente
Nous avons déjà soutenu que l’ARC ne peut pas simplement parier sur le renforcement de la capacité du PCBMI en augmentant le nombre d’organismes d’accueil et de bénévoles. C’est parce que cela dépend entièrement de la bonne volonté des nouveaux organismes et bénévoles, chose sur laquelle l’ARC n’a aucun contrôle. Nous croyons qu’elle doit utiliser plus efficacement ses organismes d’accueil et ses bénévoles actuels du PCBMI pour s’assurer que cette infrastructure fournit des services à ceux qui en ont le plus besoin. Et il ne fait aucun doute que les non-déclarants chroniques sont parmi ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons souligné l’importance d’entreprendre une analyse des données pour éclairer les choix stratégiques de l’ARC et avons donné des exemples précis pour illustrer comment cela pourrait être fait.
Dans notre examen du programme pilote de subventions de trois ans lorsqu’il a été mis en place, nous avons montré comment l’analyse des données pourrait être utilisée spécifiquement pour éclairer les choix en matière de financement. Un exemple est particulièrement pertinent pour augmenter le nombre de non-déclarants : offrir un incitatif financier plus important pour les déclarations produites par des clients qui n’avaient pas produit de déclaration depuis un certain nombre d’années.
Le numéro d’identification de l’organisme du PCBMI ou NIOP offre un moyen simple d’opérationnaliser cette idée. Le NIOP permet à l’ARC de faire le suivi du nombre de déclarations produites par chaque organisme d’accueil. Les paiements de subvention par déclaration pourraient être versés selon une échelle mobile, les montants plus élevés étant versés aux organismes d’accueil pour la production des déclarations des clients des années précédentes. Cela indiquerait clairement aux organismes d’accueil que l’ARC veut qu’ils accordent la priorité aux déclarations de ceux qui n’ont pas produit de déclarations au cours des années précédentes. À l’heure actuelle, de nombreux organismes d’accueil, en particulier ceux qui n’offrent les services du PCBMI qu’au cours des mois de mars et d’avril, limitent leur service du PCBMI à la production de déclarations de l’année en cours. Si les montants payés par déclaration étaient importants, cela pourrait inciter les organismes d’accueil. Ils pourraient être plus enclins à produire des déclarations d’années antérieures de clients existants et, si les paiements par déclaration étaient assez généreux, à chercher des non-déclarants.
Le NIOP a été introduit en 2021 pour assurer le suivi de la production des déclarations par chaque organisme d’accueil à partir de l’année d’imposition 2020. Le programme pilote de trois ans prendra fin avec la saison des impôts en cours et la production des déclarations de l’année d’imposition 2022. Bien qu’il soit probablement trop tard pour mettre en œuvre cette idée pour la période des impôts en cours, le moment est néanmoins propice.
Après la période des impôts de 2023, l’ARC examinera la mise en œuvre de ce programme pilote. Si l’ARC décide de conserver une certaine forme de programme de financement de subventions après 2023, la conception future pourrait inclure une échelle mobile de paiements de subventions par déclaration. Toutefois, ces paiements devraient être plus généreux que ce qui est actuellement offert pour la production des déclarations si l’on veut vraiment inciter les organismes d’accueil à chercher des non-déclarants, surtout des non-déclarants chroniques, pour les aider à produire leurs déclarations.
À compter de la période des impôts de 2024, cela pourrait comprendre des paiements de subvention plus généreux pour chaque déclaration produite par un organisme d’accueil pour les années d’imposition 2020, 2021 et 2022 antérieures, avec les paiements les plus élevés pour les déclarations les plus anciennes.
Conclusion
En commentant la question des non-déclarants dans son plus récent rapport annuel, l’ombudsman de l’ARC prend note du PCBMI et du programme pilote de subventions de trois ans de l’ARC et fait remarquer que « ce n’est pas encore parfait, mais cette initiative est plus que bienvenue ». L’Ombudsman ajoute ensuite :
« Au cours de l’exercice 2022-2023, nous augmenterons notre participation auprès des organismes qui servent les populations vulnérables, obtiendrons leurs commentaires sur les mesures que l’ARC a prises pour rendre la production de déclarations plus facile et plus accessible, et découvrirons comment ils ont pu avoir une incidence sur les clients qu’ils servent, ainsi que la façon dont ils peuvent solliciter leurs idées pour améliorer les services. »
Nous espérons que l’ombudsman de l’ARC entendra un message cohérent de la part des organismes d’accueil du PCBMI : si l’ARC veut s’attaquer au problème des non-déclarants de façon plus efficace, elle doit fournir un soutien beaucoup plus important aux organismes d’accueil du PCBMI, y compris – mais sans s’y limiter – l’instauration d’incitatifs financiers plus importants pour la production des déclarations des années précédentes.
Cela dit, nous ne croyons pas que l’argent de l’ARC à lui seul résoudra le problème des non-déclarants. Comme il a été mentionné ci-dessus, EDSC pourrait jouer un rôle plus important. Nous y reviendrons dans un prochain article, où nous examinerons certaines des façons dont EDSC pourrait collaborer avec l’ARC pour appuyer le PCBMI.
Au cours des prochains mois, nous vérifierons ce que l’ARC a à dire en réponse aux recommandations du rapport de la VG sur l’accès aux prestations pour les populations difficiles à joindre. Nous examinerons également les résultats de l’engagement de l’ombudsman de l’ARC auprès des organismes d’accueil du PCBMI. Enfin, avec la conclusion du programme pilote de subventions de l’ARC cette année, une évaluation devrait être faite à l’automne. Nous surveillerons de près et nous ferons rapport sur ce que l’ARC fait à l’appui de son infrastructure du PCBMI – nous l’espérons en étroite collaboration avec EDSC – afin de mieux régler le problème des non-déclarants.