19 août 2023
Dans le premier article de cette série en trois parties, nous avons soutenu que même si le nombre de non-déclarants actuels n’est peut-être pas aussi élevé que certaines estimations populaires, ce nombre est encore très élevé et représente un sérieux frein à l’atteinte des objectifs de réduction de la pauvreté du gouvernement fédéral. Dans le deuxième article, nous nous sommes concentrés sur les non-déclarants récents, ceux qui oublient de produire leur déclaration, la produisent avec du retard ou bien sautent une ou deux années d’imposition. Plus important encore, ces clients ont une adresse postale à jour dans les dossiers de l’Agence du revenu du Canada (ARC), ce qui permet à l’ARC de communiquer avec eux. Nous avons examiné la campagne de lettres sur les prestations pour les non-déclarants et le projet pilote de production automatique des déclarations à venir pour voir comment le PCBMI pourrait contribuer à améliorer le rendement de ces deux initiatives.
Dans ce troisième et dernier article, nous examinons la situation des non-déclarants chroniques, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas produit une déclaration depuis de nombreuses années et qui constituent la majorité des non-déclarants estimés. Le principal problème de l’ARC est qu’elle n’a pas d’adresses postales actuelles pour ces clients. Par conséquent, elle n’a aucun moyen de communiquer directement avec eux. Pourtant, c’est le groupe que l’ARC devrait essayer d’atteindre si elle veut augmenter considérablement sa couverture des prestations de réduction de la pauvreté.
Le présent article porte sur les façons dont, selon nous, l’ARC pourrait également utiliser le PCBMI pour cibler les non-déclarants chroniques. Les changements que nous proposons, bien qu’ils ne soient pas coûteux, représenteraient une évolution critique dans le PCBMI s’il veut survivre à d’autres changements déjà en cours.
Abandonner sa réticence à prendre des mesures directes pour renforcer le PCBMI
Nous avons déjà décrit en détail ce que nous avons appelé l’attitude ambivalente de l’ARC à l’égard du PCBMI. Nous approchons d’un carrefour important dans la vie du PCBMI. L’ARC a récemment réduit son ambition pour le PCBMI. Si le projet pilote de préparation et de production automatiques des déclarations de revenus et de prestations s’avère fructueux, l’ARC pourrait réduire considérablement ses efforts à l’appui du PCBMI. (Pourtant, nous soutenons dans le deuxième article de cette série que l’ARC améliorera probablement le taux de réponse dans ce projet pilote si elle prépare le PCBMI pour soutenir les clients qui reçoivent des déclarations préremplis et qui ont des questions sur ce processus.)
Le projet pilote de subvention de trois ans à l’appui des organismes d’accueil du PCBMI pourrait être interprété comme le début d’un changement positif dans l’attitude de l’ARC où elle se débarrasse de son ambivalence à l’égard du PCBMI et fournit une orientation stratégique et un solide soutien de gestion pour sa contribution clé aux efforts du gouvernement fédéral pour atteindre ses objectifs de réduction de la pauvreté (un peu comme l’a demandé l’examen du PCBMI par l’ombudsman de l’ARC en 2020). Ou encore, l’introduction du programme de subventions aurait pu simplement être fondée sur la reconnaissance du fait que la seule façon de rétablir le PCBMI à ses niveaux de rendement d’avant la pandémie était d’offrir de modestes incitatifs financiers pour encourager les organismes d’accueil réticents à continuer de fournir le service.
N’ayant aucun moyen de communiquer directement avec les non-déclarants chroniques, l’ARC est handicapée parce qu’elle n’a pas de présence locale ni de connaissance des nombreuses collectivités où vivent ces non-déclarants chroniques. Pourtant, elle dispose d’un réseau établi de partenaires qui offre ces mêmes attributs : ses organismes d’accueil du PCBMI et leurs bénévoles. Nous croyons fermement que la seule façon pour l’ARC de joindre un plus grand nombre de non-déclarants chroniques est de travailler beaucoup plus étroitement avec ses partenaires qu’à l’heure actuelle. Mais pour qu’elle le fasse le plus efficacement possible, l’ARC doit remplir une autre condition importante.
Changer sa vision pour le PCBMI d’un service gratuit de préparation de déclarations à un service qui donne également accès à des prestations
Comme nous l’avons fait valoir dans cet article, la plupart des Canadiens à faible revenu produisent leurs déclarations parce qu’ils veulent avoir accès ou conserver l’accès à de nombreuses prestations fondées sur le revenu et ils savent qu’ils doivent être à jour dans la production de leurs déclarations pour que cela se produise. C’est la principale raison pour laquelle les clients cherchent ce service gratuit de préparation de déclarations. Bien que le PCBMI soit présenté comme des « comptoirs d’impôts gratuits » par l’ARC, les revenus de la grande majorité des clients qui utilisent le service du PCBMI sont trop faibles pour payer de l’impôt.
Il y a beaucoup plus à joindre les non-déclarants chroniques que de simplement présenter le PCBMI différemment. Mais présenter le PCBMI différemment serait un bon point de départ. Au lieu de parler de comptoirs d’impôts gratuits où les contribuables peuvent faire préparer leurs déclarations de revenus gratuitement par des préparateurs de déclarations de revenus bénévoles, l’ARC pourrait faire référence à des comptoirs gratuits d’impôts et de prestations (ou simplement de déclarations) où les clients peuvent faire produire leurs déclarations préparées gratuitement par des bénévoles qui connaissent bien les impôts et les prestations pour les résidents à faible revenu.
Plus fondamentalement, l’ARC doit mettre à jour sa vision du PCBMI. Il ne s’agit plus seulement d’un service gratuit de préparation de déclarations de revenus. Il est également devenu – et c’est sans doute plus important – un service communautaire qui aide les résidents à faible revenu à maintenir leur accès à d’importantes prestations de réduction de la pauvreté. L’évolution du régime d’impôt et de prestations et le processus de préparation des déclarations qu’il utilise ont entraîné ce changement. Une appréciation réaliste des deux fonctions actuellement exercées par le PCBMI suggère que l’ARC doit adopter une approche différente pour son administration du PCBMI. Cette nouvelle approche devrait mettre l’accent sur la double fonction à travers quatre étapes (c.-à-d. le recrutement, la formation, la supervision et le soutien, la reconnaissance et la rétention) dans l’administration de la prestation des services du PCBMI. Le Plan ministériel de l’ARC pour l’exercice financier 23-24 indique qu’elle « continuera à moderniser son service à la clientèle afin de fournir une expérience sans tracas, empathique et axée sur le client ». Cette plus grande orientation vers le service devra se refléter dans la façon dont l’ARC communique avec les résidents au sujet des nombreuses prestations auxquelles ils ont droit.
Ce changement s’avérera très difficile pour une agence qui a traditionnellement concentré ses efforts pour s’assurer que les résidents respectent leurs obligations fiscales. Mais un tel changement est la deuxième condition pour faire des progrès substantiels dans la réduction du nombre de non-déclarants chroniques.
Investir dans les relations avec ses partenaires
En supposant que les deux conditions ci-dessus puissent être satisfaites (et nous reconnaissons qu’il s’agit d’une hypothèse importante), voici quelques façons pratiques dont l’ARC pourrait travailler avec ses partenaires pour donner à un plus grand nombre de non-déclarants chroniques l’accès aux prestations auxquelles ils ont droit.
A. Les organismes d’accueil
Pour la saison des impôts 2022, l’ARC a déclaré que 3 410 organismes communautaires partout au Canada offraient des services du PCBMI. (Cela représente une baisse par rapport au sommet atteint en 2020 lorsque 3 810 organisations ont été enregistrées.[i])
Pendant trop longtemps, l’ARC a profité de la générosité de ces organismes, offrant un soutien administratif modeste, mais aucun soutien financier. À la suite de la baisse spectaculaire du nombre de clients servis en 2020 en raison des restrictions en matière de santé publique mises en place pour limiter la propagation de la COVID, l’ARC a lancé un programme pilote de subventions de trois ans en 2021 dans lequel elle a finalement offert un soutien financier à ses partenaires du PCBMI pour la toute première fois. Cependant, les montants initialement annoncés n’étaient que symboliques en ce sens qu’ils n’offraient pas de véritable incitation. Reconnaissant ce fait, l’ARC a annoncé des changements à la formule de financement à l’automne 2022. Bien qu’elle soit meilleure que la formule de financement utilisée au cours de la première année, la nouvelle formule de financement sera encore loin de couvrir les coûts d’accueillir des comptoirs du PCBMI de leurs organisations partenaires.
Maintenant, la formule de financement doit :
- devenir un élément régulier de ce programme (à l’heure actuelle, ce projet pilote prend fin avec la saison des impôts de 2023) ;
- fournir davantage pour les besoins de base liés à la gestion d’un comptoir du PCBMI avant le début de la saison (actuellement, ce n’est que 500 $ qui est fourni longtemps après la fin de la saison régulière) ;
- offrir des incitatifs plus importants pour la production de déclarations d’années antérieures (actuellement, il s’agit de 5 $ par déclaration, peu importe l’année [à partir de 2020] pour laquelle elle est produite ;
- offrir une prime lorsqu’un organisme d’accueil atteint un nombre précis de non-déclarants chroniques ; et
- offrir des incitatifs supplémentaires liés à l’infrastructure qui sous-tend la prestation des services, notamment le recrutement et la rétention de bénévoles.
L’ARC doit partager les données qu’elle recueille actuellement pour aider les organismes d’accueil du PCBMI à améliorer la prestation et l’impact des services à la clientèle. L’introduction du numéro d’identification de l’organisation du PCBMI ou le NIOP rend cela tout à fait faisable.
De plus, les coordonnateurs régionaux du PCBMI de l’ARC pourraient aider à faciliter la coordination au niveau local entre les divers organismes d’accueil. Cela s’explique par le fait que l’ARC est le mieux placée pour surmonter les obstacles initiaux et assumer les coûts administratifs liés à la coordination par les organismes d’accueil de la mise en commun des clients, des bénévoles et de l’information. Les avantages ultimes de la coordination peuvent comprendre : un meilleur service à la clientèle, un meilleur soutien pour les bénévoles, une réduction du temps du personnel consacré à la gestion des clients et des bénévoles, et un soutien accru des donateurs pour les comptoirs du PCBMI.
B. Les bénévoles
Pour la saison des impôts 2022, l’ARC a déclaré que 14 750 personnes étaient inscrites au Canada à titre de bénévoles du PCBMI. (Il s’agit d’une baisse par rapport au sommet atteint en 2019, alors que 19 240 bénévoles étaient inscrits.)
Le recrutement
L’ARC doit faire sa part pour aider ses organismes d’accueil à recruter de nouveaux bénévoles du PCBMI. Nous suggérons quelques-unes des façons dont elle pourrait le faire dans l’article suivant. Il s’agit notamment d’élaborer et de distribuer du matériel promotionnel approprié, de lancer une campagne de recrutement annuelle et d’utiliser divers médias.
La formation
Au cours des dernières années, l’ARC a apporté de modestes améliorations à sa formation des bénévoles. Pourtant, il y a un certain nombre de tensions dans le domaine de la formation qu’elle ne traite pas bien :
- Les bénévoles sont une ressource précieuse, la clé de voûte de l’opération du PCBMI. Pourtant, avec un programme de formation non structuré, l’examen des modules de formation longs (et répétitifs) peut devenir un obstacle pour certains bénévoles à terminer la formation et à acquérir les connaissances nécessaires pour fournir un service compétent à la clientèle.
- À l’exception peut-être de ceux qui travaillent dans des organismes communautaires ayant un mandat d’autonomisation financière, de nombreux coordonnateurs de comptoirs ne connaissent pas bien la préparation des déclarations de revenus et de prestations. Par conséquent, ils comptent beaucoup sur l’expertise de leurs bénévoles. Pourtant, en l’absence d’un programme officiel de formation et de certification, les compétences des bénévoles demeureront très variables.
- Les besoins de formation des bénévoles expérimentés sont différents de ceux qui servent pour la première fois. Pourtant, le matériel de formation actuel ne reflète pas ces différences.
- L’ARC est la source de connaissances sur les impôts, les prestations et la préparation des déclarations.
- Pourtant, son manque d’expertise en matière de formation se reflète dans le matériel et les méthodes utilisés pour offrir la formation.
À l’heure actuelle, l’ARC fournit du matériel de formation, mais laisse aux organismes d’accueil le pouvoir de s’assurer que leurs bénévoles reçoivent une formation adéquate. D’autre part, la plupart des organismes d’accueil (à l’exception peut-être de ceux qui ont un mandat d’autonomisation financière) semblent présumer que l’ARC répond à tous les besoins de formation technique de leurs bénévoles. Comme ni l’une ni l’autre des parties ne vérifie que les bénévoles ont un niveau adéquat de compréhension des problèmes techniques liés à la préparation et à la production d’une déclaration, il y a un risque pour la réputation d’un organisme d’accueil, car certains de ses bénévoles peuvent fournir un très mauvais service.
L’ARC pourrait relever ces défis en remettant à contrat un établissement de formation expérimenté pour concevoir et offrir un programme qui est mieux adapté aux besoins des bénévoles, nouveaux et expérimentés, et qui fournit une certification officielle (confirmant un niveau minimum de connaissances) que les coordonnateurs de comptoirs peuvent exiger et sur laquelle ils peuvent compter.
Le soutien et la supervision
Présentement, l’ARC ne supervise pas les bénévoles du PCBMI. Elle laisse cette responsabilité aux organismes d’accueil et à leurs coordonnateurs de comptoirs du PCBMI. Son soutien se limite à la très bonne ligne d’assistance du PCBMI. Pourtant, les organismes d’accueil limitent généralement leur supervision des bénévoles à la gestion des problèmes de flux de travail et ne règlent pas les problèmes de contrôle de la qualité. Encore une fois, les organismes communautaires ayant un mandat d’autonomisation financière peuvent être l’exception dans la supervision du travail technique de leurs bénévoles.
En plus d’offrir un certificat de formation officiel pour assurer une qualité plus uniforme du service à la clientèle, l’ARC pourrait également désigner certains bénévoles expérimentés comme mentors et, plus généralement, des sources de conseils pour les bénévoles moins expérimentés. Elle pourrait également exiger que les bénévoles nouvellement certifiés travaillent sous la supervision d’un bénévole plus expérimenté qui doit examiner un nombre minimum de leurs déclarations avant d’être produites.
La situation en matière d’impôt et de prestations des non-déclarants chroniques peut être compliquée, compte tenu du nombre d’années pendant lesquelles ils n’ont pas produit de déclaration. Une bonne formation, une bonne supervision et un bon soutien seront particulièrement importants si les bénévoles doivent aider les non-déclarants chroniques à se mettre à jour avec la production de leurs déclarations et en accédant à toutes les prestations auxquelles ils ont droit par l’entremise du processus de déclaration de revenus et de prestations.
La reconnaissance et la rétention
La reconnaissance et la rétention des bénévoles s’avèrent également être un grand défi pour le PCBMI. Dans l’article suivant, nous proposons un certain nombre de mesures que l’ARC pourrait employer pour encourager les bénévoles expérimentés du PCBMI à revenir l’année suivante.
Suivre son progrès à l’aide d’indicateurs appropriés
À l’heure actuelle, l’ARC fait le suivi du nombre de personnes aidées, des déclarations produites, des bénévoles et des organismes d’accueil ainsi que du montant des prestations générées. Le suivi du nombre de bénévoles et d’organismes d’accueil est utile pour comprendre l’évolution de ce que nous appelons l’infrastructure du PCBMI à l’appui de la prestation de services. Le suivi du nombre de personnes aidées et des déclarations produites ainsi que du montant des prestations générées est suggestif, mais ne reflète pas vraiment l’objectif principal du PCBMI. L’ARC devrait faire le suivi des résultats plus pertinents et en rendre compte, ce qui peut l’aider à concentrer les ressources limitées du PCBMI, en particulier ses bénévoles, sur la prestation de services du PCBMI à ceux qui, comme les non-déclarants chroniques, en ont le plus besoin.
Il y a quatre questions auxquelles l’ARC devrait répondre en surveillant et en faisant rapport sur les données pertinentes au cours d’une année donnée :
- Quel est le pourcentage de personnes qui tombent sous le seuil officiel de la pauvreté et qui ne produisent pas de déclaration ?
- Quel est le pourcentage de personnes qui tombent sous le seuil officiel de la pauvreté et qui ne sont pas des clients du PCBMI ?
- Quel est le pourcentage de clients du PCBMI qui tombent sous le seuil officiel de la pauvreté ?
- Quel est le pourcentage de clients du PCBMI qui tombent sous le seuil officiel de la pauvreté et qui ont été classés l’année précédente comme non-déclarants?
Les résultats de la combinaison des réponses à ces questions peuvent fournir des indications significatives sur l’élaboration de cibles et de réformes qui amélioreront le rendement national du PCBMI. Les résultats obtenus à l’échelle infranationale peuvent également aider à orienter les décisions stratégiques concernant les efforts de réforme du PCBMI à ce niveau.
Conclusion
Selon notre expérience, le revenu des non-déclarants a tendance à être inférieur à la médiane pour tous les clients du PCBMI que nous desservons. Bien que des programmes comme le Supplément de revenu garanti, l’Allocation canadienne pour les travailleurs et l’Allocation canadienne pour enfants puissent contribuer à réduire la pauvreté au Canada, les résidents doivent produire une déclaration pour obtenir ou conserver l’accès à un grand nombre de ces prestations fondées sur le revenu. Les non-déclarants, en particulier les non-déclarants chroniques, sont un groupe beaucoup plus difficile à atteindre à cette fin.
Pour réaliser des progrès substantiels au sein de ce groupe, l’ARC aura besoin d’une campagne concertée qui va bien au-delà de ses efforts actuels pour encourager un plus grand nombre de non-déclarants à produire de déclarations. À cette fin, l’ARC doit utiliser davantage le PCBMI, qui est sa principale contribution à l’atteinte des objectifs de réduction de la pauvreté définis dans la Stratégie de réduction de la pauvreté 2018 du gouvernement fédéral.
[i] Le nombre pour 2022 est légèrement différent de celui rapporté dans cet article. Cela s’est produit parce que l’ARC a modifié sa méthodologie pour la période suivant la publication de notre article original. Cette légère différence ne modifie pas la conclusion.