Une diversion stérile : la campagne de lettres de l’ARC sur les prestations pour les non-déclarants

17 février 2023


Depuis maintenant six ans, l’Agence du revenu du Canada (ARC) mène ce qu’elle appelle sa « campagne de lettres de prestations pour les non-déclarants ».  Essentiellement, l’ARC envoie des lettres aux clients qui n’ont pas produit de déclaration au cours de la dernière saison des impôts et pour lesquels elle a une adresse postale au dossier.  Ces lettres décrivent les avantages de produire une déclaration.  Ensuite, l’ARC fait le suivi du nombre de ces destinataires de lettres qui produisent une déclaration au cours de la prochaine période des impôts.  Elle mesure le succès de cette initiative en fonction du pourcentage de destinataires de lettres qui produisent une déclaration dans l’année où ils reçoivent la lettre.

Histoire

Dans le rapport de l’exercice 2021-2022 de l’ombudsman de l’ARC, la mise à jour suivante a été fournie sur la campagne de lettres de prestations pour les non-déclarants de l’ARC :

« Dans le cadre de la campagne de lettres de prestations pour les nondéclarants pour l’exercice 2021-2022, l’ARC a émis environ 175 000 lettres avec un message positif afin de promouvoir les comportements de production et de s’assurer que les Canadiens reçoivent les prestations et les crédits auxquels ils ont droit.

À la suite de ces envois, un total de 35 000 déclarations ont été produites, ce qui a entraîné le versement de plus de 24 millions de dollars en remboursements d’impôt et plus de 24 millions de dollars en crédits/prestations versés aux Canadiens. »

Lorsque le programme a été présenté pour la première fois dans le Rapport sur les résultats ministériels de l’ARC pour l’exercice 2016-2017, l’ARC a déclaré avoir envoyé 260 000 lettres en 2016 à des clients qui n’avaient pas produit leur déclaration de 2014 en 2015.  Elle a ensuite fait le suivi du pourcentage de ces clients qui ont produit leur déclaration au cours de la période des impôts 2016.  Elle a indiqué que 8,3 % des destinataires de lettres avaient produit des déclarations au cours de la saison des impôts 2016.

Dans son Plan ministériel pour l’exercice 2017-2018, l’ARC a d’abord intégré une cible pour la campagne de lettres de prestations pour les non-déclarants à ses principaux indicateurs de rendement.  (Cela a été inclus dans les indicateurs du programme de prestations, contrairement à l’indicateur de rendement clé du PCBMI qui a été inclus dans les indicateurs du programme fiscal.)   Bien que l’ARC prévoyait que 25 % des destinataires de lettres produiraient une déclaration, seulement 8,1 % ont effectivement produit une déclaration au cours de la période des impôts de 2017.  Par la suite, l’ARC a réduit son objectif de rendement à 10 % pour cette initiative.

Rendement à ce jour

Sources : Tous les taux de réponse et les cibles de rendement sont tirés du Rapport sur les résultats ministériels de l’ARC correspondant à l’exercice financier.

Depuis, l’Agence a fait rapport chaque année sur le taux de réponse.  Le rendement de l’exercice 2021-2022 – pour la période des impôts 2021 – représente la première fois que l’ARC atteint sa cible de 10 %.  En fait, avec un taux de réponse de 17,4 %, elle a dépassé son objectif. Cela semble impressionnant!

Examen plus approfondi du rendement

Mais il y a beaucoup moins ici qu’il n’y paraît.

Source : Statistique Canada, Fichier de famille T1, Estimations finales, 2015-2019; les non-déclarants sont estimés en prenant le taux de couverture et le nombre total de personnes qui produisent une déclaration pour l’année.

Tout d’abord, rappelez-vous que la saison précédente, en 2020, était au plus fort des confinements liés à la COVID.  Bon nombre de ceux qui voulaient produire une déclaration, mais qui avaient besoin d’aide (que ce soit par l’entremise de fournisseurs de services commerciaux ou du PCBMI) n’ont pas pu obtenir l’aide en raison des restrictions liées à la santé publique.  Ainsi, le rendement exceptionnel de la campagne de lettres de l’ARC sur les prestations pour les non-déclarants pendant la période des impôts 2021 était probablement attribuable, du moins en partie, aux conditions exceptionnellement difficiles pour produire une déclaration au cours de la période des impôts de 2020.

Deuxièmement, le nombre de destinataires de lettres ne représente qu’une petite partie du nombre estimatif de non-déclarants.  Cela signifie que le nombre de non-déclarants qui, selon l’ARC, ont produit une déclaration après avoir reçu une lettre ne représente qu’une infime partie du nombre estimatif de non-déclarants.  Cela donne à penser que l’initiative de l’ARC fait beaucoup trop peu pour régler adéquatement la question des non-déclarants.

Mais même cela, c’est pour donner à l’ARC plus de crédit que nous croyons qu’elle le mérite.

Nous croyons que l’initiative est mal conçue et qu’elle représente un effort minimaliste de la part de l’ARC.  Nous croyons également que la plupart des petites réussites signalées dans le cadre du programme sont fondées sur des hypothèses douteuses.

Un effort minimaliste

Il y a remarquablement peu d’information disponible sur la façon dont ce programme est exécuté.  D’après les descriptions fournies dans les divers rapports et plans sur les résultats ministériels de l’ARC, nous savons que l’ARC identifie les Canadiens à revenu modeste ou faible ayant un potentiel de recouvrement d’impôt faible ou nul qui n’ont pas produit de déclaration au cours de la saison des impôts précédente.  Elle leur envoie ensuite une lettre qui décrit les prestations disponibles sous condition de la production d’une déclaration et les encourage à le faire.

En tant que bénévoles du PCBMI, nous avons produit les déclarations de nombreux clients qui n’ont pas produit de déclaration au cours des 5 à 10 dernières années.  Nous avons tendance à les désigner comme des « non-déclarants chroniques ».  L’initiative de l’ARC ne semble pas être axée sur ce groupe.  Elle se concentre plutôt sur un groupe beaucoup plus important : ceux qui n’ont pas produit de déclaration au cours de la dernière période des impôts.  (Nous notons que les non-déclarants chroniques constitueraient un sous-ensemble de ce groupe – eux aussi devraient également recevoir ces lettres.  En faisant rapport sur le pourcentage de ceux qui ont par la suite produit une déclaration, l’ARC donne simplement un taux de réponse global.  L’Agence ne fait pas la distinction entre les répondants qui ont simplement omis de produire leur déclaration au cours de la saison des impôts précédente et les non-déclarants chroniques.)

Comme tout bénévole du PCBMI qui a utilisé la fonction « Remplir ma déclaration » le sait, la base de données de l’ARC indique si le courrier de l’ARC au client a été retourné ou non.  Si c’est le cas, cela suggère que l’adresse postale que l’ARC a au dossier du client n’est probablement pas la plus récente.  Étant donné les rapports limités de l’ARC sur cette initiative, il n’est pas clair si l’ARC cible ses lettres uniquement à celles pour lesquelles elle a une adresse postale qui semble toujours valide.  Mais nous supposerons que l’ARC ne gaspille pas du papier avec l’envoi de lettres aux clients pour lesquels elle semble avoir une ancienne adresse postale invalide.

À cet égard, le résumé de certaines recherches qualitatives que l’ARC a commandées en 2018 dans le cadre de son initiative de lettre sur les prestations à l’intention de non-déclarants est instructif.  Le but de cette recherche était double : apprendre la raison pour laquelle les gens pourraient ne pas produire leur déclaration, et évaluer l’efficacité relative de deux lettres différentes qui avaient été utilisées.

Les consultants ont indiqué qu’ils avaient utilisé huit groupes de discussion dans quatre villes du Canada pour cette recherche.  Deux groupes ont été identifiés : ceux qui avaient reçu une lettre et qui avaient produit leur déclaration, et ceux qui avaient reçu une lettre mais n’avaient pas produit une déclaration.  Il convient de noter que les consultants signalent que certaines des coordonnées que l’ARC leur avait fournies pour les personnes de ces deux groupes n’étaient plus valides.  Cela est révélateur d’un problème que nous observons chez certains non-déclarants, mais surtout les non-déclarants chroniques, qui vivent dans des conditions précaires et sont constamment en mouvement.

Les principales conclusions suivantes des consultants sont particulièrement intéressantes :

  • « Les pensées et les émotions spontanées à propos de la production d’une déclaration de revenus ont eu tendance à être plus négatives que positives … Ceux qui ont exprimé des pensées et des émotions négatives avaient tendance à se plaindre de la longueur du processus, qu’ils ont aussi jugé fastidieux; de la confusion et de l’incertitude qu’il générait quant à ce qu’il est possible de réclamer ou non; et de la frustration ressortant des contacts avec l’ARC.
  • La grande majorité des participants ne se sont pas rappelés avoir reçu l’une des lettres de prestation de l’ARC. Les quelques personnes qui l’ont reçue ont attesté l’avoir ouverte et parcourue avant de la recycler, après avoir pris connaissance de l’objet de la lettre (les incitant à soumettre leur déclaration fiscale). Une seule personne (parmi tous les groupes) a affirmé que la réception de la lettre s’était avérée un rappel utile qui l’a encouragée à produire sa déclaration de revenus immédiatement.
  • [I]ls se sont entendus pour dire avoir l’impression que lorsqu’une personne reçoit quelque chose de l’ARC par la poste, il s’agit de quelque chose d’important qui nécessite leur attention.
  • [I]ls ont été nombreux à trouver le contenu trop promotionnel, ce qui les a amenés à douter de la crédibilité de la lettre et de l’intention de l’ARC. Lorsqu’on leur a demandé de décrire le message principal de la lettre, la plupart ont répondu qu’ils l’ont vu comme un rappel les incitant à soumettre leur déclaration, sous le couvert d’une invitation à profiter de crédits ou d’avantages financiers.
  • Les participants ont attribué cette perception au sentiment d’avoir reçu des lettres qui ne semblaient ni personnalisées ni adaptées à chaque individu; selon eux, elles avaient l’apparence de lettres types. »

À la suite de cette recherche, aucun renseignement n’est disponible pour indiquer les changements, le cas échéant, que l’ARC a apportés à ses pratiques à la suite de ces constatations.  Mais on a l’impression que, même si l’ARC personnalisait considérablement ces lettres, il est encore peu probable qu’elles attireraient l’attention de la plupart des bénéficiaires et les motiveraient à produire leur déclaration.

Hypothèses douteuses

Cette initiative repose sur au moins deux hypothèses.

La première est que l’envoi de lettres de prestations pour les non-déclarants est un moyen efficace de motiver les non-déclarants à produire leur déclaration.  Les résultats de recherche ci-dessus semblent suggérer que cette hypothèse est très discutable.

Deuxièmement, le manque de connaissances des non-déclarants sur les avantages de la production d’une déclaration est un obstacle majeur.  Dans la section intitulée « Pourquoi les gens ne déposent pas une déclaration » de notre article précédent sur les non-déclarants, nous avons examiné les recherches commandées par Prosper Canada sur les principales raisons pour lesquelles les personnes à faible revenu ne produisent pas de déclaration.  L’ignorance des avantages à produire une déclaration ne figurait pas parmi les raisons citées.

Compte tenu de ce qui précède, nous sommes très sceptiques que la simple corrélation entre la réception d’une telle lettre et la production ultérieure d’une déclaration soit révélatrice de causalité.  Autrement dit, nous pensons que l’ARC se montre trop généreuse en concluant qu’une personne produit sa déclaration à cause de la réception d’une telle lettre.

L’ARC s’attribue le mérite de quelque chose qui se produirait probablement de toute façon, même sans envoyer de lettres.  Bien que nous ne puissions en être certains, il serait intéressant de connaître le pourcentage de non-déclarants à faible revenu qui n’ont pas reçu de lettre de l’ARC (peut-être parce que l’adresse postale au dossier était connue pour être erronée), mais qui ont fini par produire une déclaration.  (Une proportion semblable au pourcentage de non-déclarants qui ont produit une déclaration au cours de l’année où ils ont reçu une lettre de l’ARC minerait davantage la justification de la campagne de lettres de prestations pour les non-déclarants.)  Malheureusement, l’ARC ne déclare pas ce deuxième pourcentage.

Conclusion

Lorsque nous avons examiné la campagne de lettres de prestations pour les non-déclarants, il y a deux ans, dans notre premier article sur la question des non-déclarants, nous avons dit qu’il était difficile de conclure grand-chose au sujet d’une initiative pour laquelle il n’y avait eu que trois ans de rapports.  Mais nous étions sceptiques quant à son efficacité.

Maintenant que nous avons six ans de rapports sur la mise en œuvre, nous sommes de plus en plus convaincus que la campagne de lettre de prestations pour les non-déclarants n’est pas un moyen efficace d’inciter les non-déclarants, surtout les non-déclarants chroniques, à produire leurs déclarations en souffrance.  Au pire, nous pensons que cette campagne détourne l’ARC de la prise de mesures plus efficaces pour aider les non-déclarants à produire leurs déclarations en souffrance.

Nous examinerons certaines de ces mesures.  Mais avant cela, dans notre deuxième article de cette série, nous voulons passer brièvement en revue un rapport produit par le vérificateur général du Canada qui indique non seulement que l’ARC ne sait pas combien il y a de non-déclarants, mais aussi que ses efforts à ce jour pour le savoir s’avèrent très inefficaces.  Nous pensons que ce rapport contient également les germes de solutions plus efficaces au problème.

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