Production automatique des déclarations – solution ou problème ?

17 novembre 2020

Introduction

Pour ceux qui l’ont peut-être manqué, dans le discours du Trône du 23 septembre 2020 exposant les priorités du gouvernement jusqu’aux prochaines élections fédérales, la gouverneure générale du Canada a annoncé que « Le gouvernement travaillera également à la mise en place d’un système gratuit de production automatisée des déclarations d’impôt pour les déclarations simples afin que les citoyens reçoivent les prestations dont ils ont besoin ».

Cette déclaration a été mise en évidence dans les médias anglophones (par exemple, regardez iciici  et  ici).  C’est parce que le discours du Trône énonce les priorités du gouvernement pour le reste de son mandat électoral.   Cela signifie que la référence à la production automatique devrait être prise au sérieux comme une priorité du gouvernement dans les années à venir.  (Souvent les initiatives qui font partie du discours du Trône proviennent de la bureaucratie fédérale ; en effet, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a peut-être proposé l’initiative au gouvernement.  De toute façon, la référence dans le discours à la production automatique n’aura pas été une surprise pour l’ARC.)

Cela signifie-t-il que les bénévoles et les organismes d’accueil du PCBMI ne seront bientôt plus employés pour la préparation des déclarations de revenus et de prestations ?  Nous pensons que non.  Dans cet article, nous expliquons pourquoi.  Tout d’abord, nous faisons quelques constats concernant la transition de l’ARC à la production automatique de déclarations simples.  Ensuite, nous en tirons les conséquences de ces constats pour le PCBMI.

Constat #1 : La déclaration canadienne de revenus et de prestationsest si complexe qu’à ce stade, il y a très peu de déclarations « simples »

Parmi les anciens bénévoles du PCBMI, certains se souviendront des jours pré-Internet où l’on pouvait préparer une déclaration sur papier assez facilement, en utilisant seulement l’arithmétique de base, et aussi bien dans un court laps de temps.  Toutefois, compte tenu de la complexité des déclarations actuelles, l’utilisation d’un logiciel pour aider à préparer la déclaration est une nécessité, que ce soit pour soumission sous forme électronique ou par courrier régulier.

Selon une étude comparative de Deloitte sur le processus de déclaration de revenus des particuliers  dans 34 pays, dont le Canada, mise à jour pour la dernière fois en 2017, les deux tiers de ces pays fournissent des déclarations avec certains nombre de champs préremplis.  (Un champ prérempli est une case qui a déjà été remplie d’informations spécifiques au contribuable.)  En fait, la déclaration de l’Espagne est complètement préremplie par les autorités ; dans un tel cas, la production automatique est tout à fait possible.  Toutefois, le Canada fait partie du tiers des pays de l’étude qui ne fournissent pas les déclarations aux contribuables avec la préremplissage des champs.   On peut voir qu’avec une plus grande utilisation de la fonction « Préremplir ma déclaration », l’ARC se dirige vers la préremplissage de certaines parties de la déclaration.

Mais il reste de nombreuses cases à remplir qui ne dépendent pas de l’information sur les feuillets T que l’ARC a sous la main. Bon nombre de ces cases sont liées à d’éventuelles déductions fondées sur la situation unique du contribuable.  Le Canada faisait partie des 59 % de pays visés par l’étude qui permettent de nombreuses déductions personnelles.  Ces déductions réduisent les impôts à payer, mais augmentent la complexité de la déclaration.

Au moins la moitié des pays dans l’étude avaient moins de cases dans la déclaration à remplir par le contribuable que la déclaration utilisée par l’ARC.  Les renseignements supplémentaires demandés au contribuable par les autorités canadiennes ne peuvent être attribués uniquement à la myriade de déductions personnelles.  Nous croyons qu’il y a une autre raison pour laquelle tant de cases dans la déclaration ne peuvent pas être préremplies.

Le gouvernement fédéral s’est tourné de plus en plus vers l’utilisation de la déclaration de revenus comme outil de promotion de ses objectifs en matière de politique sociale.  Pour obtenir et maintenir l’accès à diverses prestations sociales, les utilisateurs sont tenus de fournir au gouvernement fédéral des renseignements supplémentaires.  Le déclaration est également de plus en plus utilisé par les gouvernements provinciaux et territoriaux de la même façon.  Cela s’ajoute aux renseignements que les autorités recherchent pour établir l’admissibilité à diverses prestations.   (Ceci explique pourquoi l’ARC se réfère maintenant à la déclaration comme une déclaration de revenus et de prestations et non plus comme une déclaration d’impôt.)

Comprendre lesquelles des nombreuses cases sont pertinentes à la situation unique d’une personne et quelles sont les exigences d’information pour chacune de ces cases, même après avoir utilisé la fonction « Préremplir ma déclaration », sont des tâches au-delà de la capacité de nombreuses personnes.  Cela peut expliquer pourquoi, même avec la disponibilité d’un logiciel de préparation de déclaration pour faciliter la tâche, près de 3 personnes sur 5 au Canada qui produisent une déclaration se tournent toujours vers quelqu’un d’autre pour préparer et déposer leur déclaration  (le processus est appelé TED – voir les statistiques ici).

À quoi ressemblerait le plus simple des déclarations ?  Nous supposons qu’elle serait entièrement préremplie par l’ARC.  Cela signifie que l’ARC aurait déjà accès à toutes les informations dont elle a besoin pour compléter la déclaration.  Nous croyons qu’il y a très peu de déclarations de ce genre à l’heure actuelle.

Parmi nos clients du PCBMI, nombreux sont les personnes qui réclament des déductions ou crédits qui les obligent à fournir des renseignements pas présentement entre les mains de l’ARC.  En tant que bénévoles, nous ne voyons presque pas de déclarations qui sont basés uniquement sur l’information facilement disponible par l’entremise des feuillets T de l’ARC.

Pour que la production automatique devienne une réalité pour un nombre important de personnes, y compris certains clients PCBMI, quelque chose dans le processus de préparation des déclarations devra changer.  Soit certaines déductions personnelles devront être supprimées (ce que nous croyons peu probable), soit l’ARC devra faire preuve de beaucoup plus de créativité quant à la collecte de   l’information dont elle aura besoin pour préremplir toutes les cases pertinentes dans la déclaration d’un particulier.  Nous croyons que ce processus prendra du temps.

Constat #2 : L’utilisation de la déclaration de l’ARC par les autorités provinciales et territoriales rend le processus d’élaboration de la production automatique plus complexe

À l’exception du Québec, le processus de préparation des déclarations mené par l’ARC est également utilisé par les autorités provinciales et territoriales pour recueillir les renseignements dont ils ont besoin pour évaluer les obligations fiscales et les droits aux prestations de leurs résidents, comme nous l’avons déjà indiqué ci-dessus.  La collaboration actuelle entre les autorités fédérales, provinciales et territoriales dans l’utilisation de la déclaration signifie qu’avant de passer à la production automatique, même des déclarations les plus simples, l’ARC sera obligée obtenir l’accord de ces autorités provinciales et territoriales.

Il ne faut pas sous-estimer le défi auquel l’ARC sera confrontée ici.  Parce que la production automatique a une incidence sur les éléments fondamentaux – la collecte des recettes et les dépenses sociales – de leurs mandats, les autorités provinciales et territoriales devront être pleinement assurées que la production automatique n’entraînera pas de perte de recettes fiscales ou une augmentation significative des dépenses sur les prestations et les crédits. Nous pensons que ces négociations prendront également un certain temps. 

Constat #3 : Il n’existe pas de production entièrement automatisée

Ci-dessus, nous avons mentionné la préremplissage de cases dans la déclaration comme une étape essentielle dans le processus de la production automatique.  Proprement dit, il est crucial pour la préparation automatique des déclarations.  Toutefois, ce n’est pas la même chose que le dépôt automatique des déclarations.  Pour cette raison, la référence à la « production automatique » est erronée.

Dans le processus de production de la déclaration de revenu et de prestations, personne ne veut découvrir qu’elle n’a absolument rien à dire sur le montant d’impôt qu’elle doit ou les prestations auxquelles elle a droit.  Même dans les systèmes de déclaration d’impôt les plus automatisés, il y a toujours une étape qui n’est pas automatique : un particulier reçoit sa déclaration préremplie et il est tenu d’indiquer si il est d’accord avec les résultats et, sinon, pourquoi pas, avant que la déclaration ne soit déposée.  Les autorités fiscales insistent sur ce point, à tout le moins, pour s’assurer que la personne confirme qu’il n’y a pas de sources de revenu imposable qui ont été exclues de la déclaration préremplie.

Dans le processus de production automatique, l’ARC devra partager la déclaration préremplie avec la personne avant qu’elle puisse être déposée.  L’ARC dispose actuellement de deux moyens de communiquer avec les particuliers.  Une méthode, par courriel associé à Mon dossier de l’ARC, suppose que le déclarant a accès à un ordinateur et une connexion Internet.  La deuxième méthode, par courrier ordinaire, suppose que le déclarant a une adresse permanente (et, lorsqu’il déménage, il s’est inscrit au bureau de poste pour que le courrier soit réacheminé à sa nouvelle adresse).

Ces deux méthodes de communication sont bien conçues pour établir des liens avec de nombreuses personnes à revenu moyen et élevé, mais moins bien adaptées aux circonstances de nombreuses personnes à faible revenu.  Bien que de nombreuses personnes à faible revenu aient un téléphone intelligent, beaucoup moins d’entre elles ont accès à un ordinateur relié à l’Internet et sont suffisamment à l’aise avec les ordinateurs pour créer leur propre compte « Mon dossier » à l’ARC.  Certaines personnes à faible revenu se déplacent beaucoup sans informer le bureau de poste de leur changement d’adresse ou, dans certains cas, n’ont pas d’adresse fixe.  Cela signifie que l’ARC aura de la difficulté à partager les déclarations préremplies avec ces personnes.  Pour cette raison, nous croyons qu’un nombre important de personnes à faible revenu ne sera pas en mesure de déposer automatiquement, même lorsque l’ARC peut produire leur déclaration préremplie.

Conséquences pour les bénévoles et les organismes d’accueil du PCBMI

Comme nous l’avons observé ci-dessus, le passage de l’ARC à une déclaration préremplie, même pour les cas « simples » où il n’y a que quelques cases à remplir, prendra du temps.  Et l’obtention d’un accord des gouvernements provinciaux et territoriaux sur ce nouveau processus prendra également du temps.

Cela nous mène à penser que, pour un certain temps à venir, rien ne changera pour le PCBMI.

Lorsque la production automatique sera finalement introduite, la situation de nombreux clients du PCBMI demeura toujours trop complexe pour permettre que leur déclaration soit préremplie par l’ARC.  Pour certains clients du PCBMI dont la situation est simple, l’ARC sera peut-être en mesure de préremplir leur déclaration.  Mais, comme nous l’avons souligné ci-dessus, l’ARC devra encore partager les déclarations préremplies avec ces clients avant que leur déclaration puisse être déposée.  L’ARC sera en mesure de communiquer ces renseignements aux clients du PCBMI qui ont créé un compte en ligne avec l’ARC ou qui ont une adresse postale à jour dans leurs dossiers auprès de l’ARC.  Mais pour les autres clients du PCBMI qui n’ont pas de compte en ligne ou d’adresse postale à jour dans les dossiers de l’ARC, l’Agence ne sera pas en mesure de partager la déclaration préremplie et de les amener à la déposer.

Cela suggère que, même lorsque la production automatique devient une réalité pour les simples déclarations, elle ne diminuera pas, de façon significative, la demande pour les comptoirs du PCBMI.  Beaucoup de clients du PCBMI auront toujours besoin d’assistance avec la préparation et la soumission de leur déclaration parce que leurs situations demeurent trop complexes pour la préparation automatique d’une déclaration préremplie.  Certains clients du PCBMI dont les situations sont assez simples pour la préparation d’une déclaration préremplie auront toujours besoin d’aide pour communiquer avec l’ARC puisqu’ils n’utiliseront pas « Mon dossier » ou n’auront pas d’adresse postale au dossier auprès de l’ARC. De plus, il y aura toujours des clients du PCBMI qui auront besoin d’aide pour comprendre la correspondance de l’ARC.

À court terme et à plus long terme, les comptoirs du PCBMI seront également nécessaires pour aider les personnes à faible revenu qui n’ont jamais déposé ou qui n’ont pas déposé une déclaration depuis très longtemps à produire leur déclaration.

Résultat : restez calme et continuez à produire les déclarations des clients.

Post-scriptum :  Quelques pensées de prudence

Alors que la production automatique promet de simplifier la vie des gens, son introduction pourrait éroder davantage le rôle des citoyens dans la compréhension des politiques des gouvernements, et la responsabilisation des ces mêmes gouvernements à l’égard de leurs politiques.

Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, la plupart des gens trouvent leur déclaration de revenus et de prestations si compliquée qu’ils demandent à quelqu’un d’autre de la produire.  C’est parce que le processus actuel de préparation des déclarations est construit sur des politiques fiscales et sociales qui sont elles-mêmes complexes et souvent difficiles à comprendre.  La production automatique signifie une simplification du processus de préparation de la déclaration.  Mais elle ne signifie aucune simplification des politiques qui sous-tendent la déclaration.

L’un des risques est que la majorité des personnes qui reçoivent éventuellement une déclaration préparée automatiquement ne seront pas mieux placés pour remettre en question les résultats préremplis de l’ARC.  Afin de déchiffrer les résultats dans leurs déclarations, elles devront encore se tourner vers des experts pour obtenir de l’aide.  Ou elles devront donner passivement leur « consentement non informé » aux résultats de l’ARC.  

Un autre risque est potentiellement plus inquiétant.  Pour les citoyens canadiens, le paiement de l’impôt sur le revenu est une obligation fondamentale et recevoir des prestations un droit.  Il y a un lien important entre les deux.  L’impôt sur le revenu est progressif : plus le revenu d’une personne est élevé, plus la part du revenu qu’elle verse à l’État est élevée.  La progressivité est liée à la redistribution des recettes du gouvernement par le biais des prestations : plus le revenu d’une personne est faible, plus la part des prestations qu’elle reçoit de l’État est élevée.  En tant que société, nous acceptons les principes de la progressivité et de la redistribution pour promouvoir une plus grande égalité.  Les gouvernements successifs ont mis en œuvre des politiques qui donnent un sens spécifique aux principes de progressivité et de redistribution.

Pourtant, des choix politiques différents pour promouvoir la progressivité et la redistribution peuvent donner des résultats sensiblement différents.  Dans notre démocratie, il est important de comprendre ces politiques si l’on veut que le gouvernement rende des comptes de ses choix.  La déclaration de revenus et de prestations est l’outil principal utilisé par le gouvernement canadien pour s’engager auprès des citoyens dans la mise en œuvre des politiques de progressivité et de redistribution qu’il a choisies.  Si les citoyens ne comprennent pas leurs déclarations, il est peu probable qu’ils comprennent les choix politiques qui se cachent derrière leurs déclarations.  Face à ce manque de compréhension, la production automatique peut contribuer à renforcer la passivité des citoyens, rendant le gouvernement moins responsable de ses choix politiques.

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