7 mai 2023
Le contexte : le budget de 2023
Dans le discours du Trône de 2020, le gouvernement fédéral a d’abord annoncé son intention d’introduire la « production automatisée des déclarations d’impôt pour les déclarations simples afin que les citoyens reçoivent les prestations dont ils ont besoin ». À ce moment-là, nous avons écrit au sujet de cette idée ici. Passons rapidement au budget de 2023 publié en mars de cette année, où il a de nouveau soulevé cette question :
À l’heure actuelle, jusqu’à 12 % des Canadiennes et des Canadiens ne produisent pas leur déclaration de revenus. Or, la majorité de ces personnes ont des revenus modestes et paieraient peu d’impôt sur le revenu, voire aucun impôt. En fait, bon nombre de ces personnes à faible revenu laissent ainsi passer la possibilité de profiter de prestations et de mesures d’aide précieuses auxquelles elles ont droit, comme l’Allocation canadienne pour enfants et le Supplément de revenu garanti.
Depuis 2018, l’Agence du revenu du Canada (ARC) offre le service simple et gratuit « Produire ma déclaration », qui permet aux Canadiennes et aux Canadiens admissibles de produire automatiquement leur déclaration de revenus par téléphone après avoir répondu à une série de questions courtes. Les personnes dont la situation fiscale est simple et qui ont un revenu faible ou fixe reçoivent une lettre d’invitation de l’ARC pour utiliser le service « Produire ma déclaration ». Au cours de la période des impôts de 2022, environ 53 000 déclarations ont été produites à l’aide de ce service.
- Afin de permettre à un plus grand nombre de Canadiens à faible revenu de produire leur déclaration de revenus de façon rapide et facile, le budget de 2023 annonce que le gouvernement fédéral portera le nombre de personnes admissibles au service « Produire ma déclaration » à deux millions d’ici 2025, soit presque le triple du nombre actuel. Le gouvernement rendra compte de ses progrès en 2024.
- Le budget de 2023 annonce également que, à compter de l’année prochaine, l’ARC mettra à l’essai un nouveau service de production automatique qui aidera les personnes vulnérables qui ne produisent pas leur déclaration de revenus actuellement à recevoir les prestations auxquelles elles ont droit. À la suite de consultations avec les intervenants et les organismes communautaires, l’ARC présentera un plan en 2024 pour élargir davantage ce service.
L’intention de faire quelque chose pour aider un plus grand nombre de personnes à faible revenu à produire leurs déclarations afin qu’elles puissent obtenir les prestations auxquelles elles ont droit et qui sont conditionnelles à la production d’une déclaration est louable. Mais nous pensons que l’attention accordée à la production automatique est injustifiée.
Élargissement du service « Produire ma déclaration »
Après avoir reconnu que jusqu’à 12 % des Canadiens ne produisent pas de déclaration (la source de cette estimation très citée se trouve ici), l’énoncé budgétaire ci-dessus met en évidence le service Produire ma déclaration (PMD) de l’ARC. Mais il est peu probable que ce service aide davantage de Canadiens à faible revenu à produire leur déclaration. Pourquoi? Pour au moins deux raisons.
Tout d’abord, malgré son introduction en 2018, les taux d’utilisation de ce service ont toujours été très faibles.
Environ 700 000 personnes sont actuellement admissibles à ce service, mais les statistiques annuelles produites par l’ARC sur la production des déclarations de revenus et de prestations révèlent que l’utilisation est restée autour de 60 000 par année au cours des cinq dernières années. (L’utilisation a atteint un sommet à 69 634 au cours de la saison 2020 en raison des restrictions de santé publique liées à la COVID et a par la suite diminué à 52 714 au cours de la période des impôts 2022.) C’est moins de 10% des utilisateurs admissibles. (Les chiffres pour les déclarations de l’année d’imposition en cours et les déclarations totales produites sont pratiquement identiques, ce qui indique que ce service n’est pas utilisé pour produire des déclarations d’années antérieures.)
Pourquoi le taux de participation est-il si faible? Les clients admissibles reçoivent une lettre les invitant à utiliser ce service téléphonique automatisé, mais certains destinataires se méfient du gouvernement et ignorent les lettres. Pour d’autres personnes qui souhaitent utiliser le service, les instructions longues (de sept à huit pages) et compliquées constituent probablement un obstacle important, nécessitant un niveau d’études secondaires de compétences en lecture dans la langue officielle de leur choix et la compréhension des concepts liés à l’impôt tels que le « revenu net ». Même s’ils comprennent les instructions, ils ont besoin d’un téléphone pour utiliser ce service, ce qui peut être un obstacle pour certains. Pour ceux qui parviennent à trouver un téléphone à utiliser, la confusion sur les différentes options automatisées qu’ils sont tenus d’envisager peut mener à la frustration et l’abandon. Face à ces défis, il n’est pas surprenant que le taux de participation soit toujours demeuré inférieur à 10 % des personnes admissibles à ce service. Ces défis sont susceptibles de rester malgré l’élargissement des critères d’admissibilité permettant jusqu’à 2 millions de personnes d’utiliser le PMD d’ici 2025. Par conséquent, il est peu probable que l’élargissement des critères d’admissibilité entraîne, en soi, une augmentation substantielle des taux de participation.
La deuxième raison pour laquelle le service PMD est peu susceptible d’aider un plus grand nombre de personnes à faible revenu à produire leur déclaration est que la réception de l’invitation à utiliser le service dépend du fait que l’ARC a la bonne adresse postale pour le destinataire, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des non-déclarants actuels.
La campagne de lettres de l’ARC destinées aux non-déclarants sur les prestations est opérationnelle depuis 2014, ciblant les personnes qui n’ont pas produit de déclaration au cours de la dernière année avec une lettre les encourageant à produire leur déclaration. Cependant, le nombre de lettres envoyées chaque année varie entre 200 000 et 300 000, ce qui ne constitue qu’une fraction du nombre de personnes qui ne produisent pas de déclaration chaque année, estimé dans le budget à 12 pour cent des Canadiens, ce qui se traduit par 3 à 4 millions de personnes. Cela s’explique par le fait que l’ARC n’a pas d’enregistrement de nombreux non-déclarants actuels dans sa base de données et des adresses postales désuètes pour beaucoup d’autres.
À l’heure actuelle, l’ARC envoie des lettres d’invitation à utiliser le service de PMD aux Canadiens pour lesquels elle a une adresse postale à jour. Cela s’explique par le fait que ces Canadiens ont récemment produit une déclaration et que l’ARC sait qu’ils seraient admissibles au service PMD l’année suivante en fonction des renseignements contenus dans cette déclaration, pourvu que leur situation ne change pas. Par conséquent, les gens qui produisent actuellement leur déclaration en utilisant d’autres méthodes, comme le PCBMI, sont invités à utiliser ce service.
Il est concevable que l’élargissement des critères d’admissibilité puisse entraîner une augmentation du nombre de personnes à faible revenu utilisant le service PMD, mais la plupart de ces personnes passeront simplement d’une méthode de production à une autre.
Projet pilote de production automatisée pour les non-déclarants
L’énoncé budgétaire indique qu’au cours de la prochaine année, le gouvernement fédéral mettra également à l’essai un nouveau service de production automatique, ciblant les personnes vulnérables qui ne produisent pas actuellement leur déclaration.
Selon certains médias, cette initiative est la première étape vers la simplification du processus de production des déclarations pour tout le monde. Cela prête à confusion. Le gouvernement fédéral est plutôt préoccupé par le fait que de nombreux résidents à faible revenu ne produisent pas leur déclaration et, par conséquent, ne reçoivent pas les prestations auxquelles ils ont droit. L’admissibilité et le montant des prestations fondées sur le revenu fournies par les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux sont principalement fondés sur les renseignements sur le revenu divulgués dans la déclaration de revenus et de prestations d’une personne. Par conséquent, les résidents à faible revenu ne peuvent avoir accès à ces prestations que s’ils produisent d’abord une déclaration. L’objectif de cette initiative est de faire en sorte qu’il soit plus facile pour les non-déclarants de produire leur déclaration et d’obtenir ces prestations.
Comme nous l’avons déjà mentionné dans notre discussion sur la production automatique des déclarations de revenus, « il n’existe pas de production entièrement automatisée » et donc le terme « automatique » est mal choisi. Bien que la déclaration puisse être préparée automatiquement en remplissant les diverses cases de la déclaration :
Comme nous l’avons déjà mentionné dans notre première discussion de la production automatisée des déclarations de revenus, « il n’existe pas de production entièrement automatisée » et donc le terme « automatisée » est mal choisi. Bien que la déclaration puisse être préparé automatiquement en remplissant les différentes cases de la déclaration :
… personne ne veut découvrir qu’elle n’a absolument aucun mot à dire sur le montant d’impôt qu’elle doit ou les prestations auxquelles elle a droit. Même dans les systèmes de déclaration d’impôt les plus automatisés, il y a toujours une étape qui n’est pas automatique : un particulier reçoit sa déclaration préremplie et il est tenu d’indiquer si il est d’accord avec les résultats et, sinon, pourquoi pas, avant que la déclaration ne soit déposée. Les autorités fiscales insistent sur ce point, à tout le moins, pour s’assurer que la personne confirme qu’il n’y a pas de sources de revenu imposable qui ont été exclues de la déclaration préremplie.
Après la préparation automatique de la déclaration, l’ARC devra partager la déclaration préremplis avec le particulier avant qu’elle puisse être produite.
L’ARC dispose actuellement de deux moyens de communication avec les particuliers. Une méthode, par courriel associée à Mon dossier de l’ARC, suppose que le déclarant a accès à un ordinateur et à une connexion Internet. La deuxième méthode, par courrier ordinaire, suppose que le déclarant a une adresse permanente (et que, lorsqu’il déménage, il s’est inscrit au bureau de poste pour que le courrier soit réacheminé à sa nouvelle adresse).
Ces deux méthodes de communication sont bien conçues pour établir des liens avec de nombreuses personnes à revenu moyen ou élevé, mais moins bien adaptées aux circonstances de nombreuses personnes à faible revenu.
L’ARC aura beaucoup de difficulté à fournir des déclarations préremplies aux non-déclarants qui ne sont pas inclus dans sa base de données ou dont l’adresse postale est obsolète. Comme on l’a mentionné plus tôt, la campagne de lettres de l’ARC destinées aux non-déclarants sur les prestations a montré que l’ARC n’a pas réussi à communiquer avec la majorité des non-déclarants précédents.
Même si l’ARC parvient à trouver et à envoyer des déclarations préremplis à de nombreux non-déclarants, la campagne de lettres aux non-déclarants sur les prestations, qui est en vigueur depuis 2014, démontre que l’ARC a un piètre bilan pour encourager les non-déclarants à répondre. En moyenne, moins de 10 % des non-déclarants qui reçoivent une lettre produisent une déclaration. (Autrement dit, nous estimons que 1 à 2 % des personnes qui n’ont pas produit de déclaration au cours de l’année précédente produisent une déclaration après avoir reçu une lettre de l’ARC.)
Par conséquent, il est peu probable que le taux de réponse soit meilleur pour les non-déclarants qui reçoivent une déclaration de revenus et de prestations préremplie. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles certains non-déclarants peuvent ne pas répondre, comme un manque de confiance dans les initiatives gouvernementales, des barrières linguistiques, de l’analphabétisme financier ou de la confusion quant aux changements qui doivent être apportés à la déclaration.
De plus, de nombreuses déductions facultatives nécessitent des renseignements auxquels l’ARC n’a pas accès, ce qui signifie que seul un petit nombre de déclarations de personnes à faible revenu peuvent être entièrement préparées automatiquement par l’ARC.
Le résultat peut être le même qu’avec l’élargissement des critères d’admissibilité au service PMD. Le projet pilote pourrait permettre à certaines personnes à faible revenu de produire leur déclaration « automatiquement ». Cependant, il y a un risque que ce soit surtout les déclarants actuels qui passent d’une méthode de production à une autre plutôt que de puiser dans les non-déclarants.
Cela signifie que même une fois que la production automatique des déclarations sera pleinement opérationnelle, au plus tôt en 2025, son incidence sur l’accès des personnes à faible revenu aux prestations pourrait rester très limité.
Dépendance excessive à l’égard de la technologie, sous-utilisation du contact humain
L’utilisation efficace de la technologie est cruciale pour des services comme le PMD et la production automatique de déclarations de revenus afin d’aider les non-déclarants à faible revenu à accéder aux prestations. Cependant, il est important de se demander si ces services, qui reposent fortement sur la technologie et réduisent l’interaction directe des clients avec les gens, peuvent vraiment être efficaces pour joindre les non-déclarants.
Comme mentionné ci-dessus, le service de PMD de l’ARC et la campagne de lettres destinées aux non-déclarants sur les prestations ont produit des résultats marginaux malgré leur recours à la technologie. Par conséquent, il est peu probable que la production automatique de déclarations de revenus, qui repose également sur la technologie, soit beaucoup plus efficace.
L’ARC a déjà un programme efficace appelé le Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt (PCBMI), qui aide les personnes à faible revenu à produire leur déclaration. Dans un article récent, nous avons suggéré comment l’ARC pourrait renforcer le PCBMI pour aider davantage de personnes à faible revenu qui n’ont pas produit de déclaration au cours des dernières années.
Cependant, il y a des preuves qui donnent à penser que l’ARC a réduit ses ambitions à l’égard de ce programme au cours des dernières années, car son rendement n’a pas été à la hauteur des attentes. Pour joindre un plus grand nombre de non-déclarants à faible revenu, l’ARC devrait se concentrer sur le renforcement du PCBMI, qui repose sur le contact direct de personne à personne et qui a gagné la confiance des collectivités qu’elle dessert depuis plus de 50 ans. Comme le souligne la Stratégie de réduction de la pauvreté de 2018 du gouvernement fédéral, le PCBMI demeure la meilleure option pour accroître l’accès des personnes vulnérables aux prestations auxquelles elles ont droit.