La vérificatrice générale critique un autre effort de l’ARC pour repérer les non-déclarants

20 février 2023


Dans notre premier article, nous avons montré que le principal programme de l’ARC pour communiquer avec les non-déclarants afin de les encourager à produire une déclaration non seulement rate la cible (il ne communique pas avec les non-déclarants chroniques), mais qu’il n’est pas ambitieux (il vise à ce que 10 % des personnes avec qui elle communique produisent une déclaration) et revendique des résultats fallacieux (il fait l’allégation trompeuse que pour les destinataires qui produisent leur déclaration par la suite, c’est à cause de la lettre qu’ils ont reçue de l’ARC).

Y a-t-il autre chose que l’ARC fait présentement pour identifier les non-déclarants?  Un rapport de février 2022 de la vérificatrice générale du Canada au Parlement (VG) intitulé « L’accès aux prestations pour les populations difficiles à joindre » éclair davantage les autres efforts de l’ARC.  Le rapport examine le travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) dans l’administration du Supplément de revenu garanti (SRG) et du Bon d’études canadien (BEC), ainsi que le travail de l’ARC dans l’administration de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) et de l’Allocation canadienne pour les travailleurs (ACT).

Le SRG est couvert par la Loi sur la sécurité de la vieillesse.  Le ministre d’EDSC est responsable de l’administration de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du SRG.  (À l’heure actuelle, le travail d’EDSC est supervisé par quatre ministres, dont le ministre des Aînés, qui est responsable de superviser l’administration de la SV et du SRG.)  Le BEC est couvert par la Loi canadienne sur l’épargne-études.  Le ministre d’EDSC est traditionnellement responsable de l’administration du BEC.  (À l’heure actuelle, le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, l’un des quatre ministres d’EDSC, est chargé de superviser l’administration du BEC.)

L’ACT et l’ACE sont toutes deux visées par la Loi de l’impôt sur le revenu.  La ministre du Revenu national est responsable de l’administration des deux prestations et supervise le travail de l’ARC dans l’exercice de ces responsabilités.

Le rapport de la VG vise à déterminer si EDSC et l’ARC veillent à ce que les populations difficiles à joindre soient informées de ces prestations et puissent y avoir accès.

Les bénévoles du PCBMI qui produisent des déclarations sauront que, pour maintenir les paiements de l’ACE et du SRG tout au long de l’année et obtenir l’ACT, un client doit être à jour dans sa déclaration de revenus et de prestations[i].  Plus fondamentalement, les efforts déployés par l’ARC pour aider les populations difficiles à joindre à accéder aux services de préparation des déclarations sont essentiels pour assurer une vaste utilisation des prestations au sein de ces populations.

À l’aide des renseignements d’EDSC et de l’ARC, la VG définit les populations difficiles à atteindre comme des personnes à revenu modeste provenant de l’un des groupes suivants :

  • Les personnes autochtones;
  • Les personnes en situation de logement précaire;
  • Les personnes nouvellement arrivées au Canada, y compris les réfugiées et réfugiés;
  • Les personnes en situation de handicap;
  • Les personnes âgées;
  • Les jeunes.

C’est identique à la clientèle cible des services du PCBMI.  De plus, la VG définit les populations difficiles à atteindre comme les personnes des groupes susmentionnés qui font face à un ou plusieurs des obstacles suivants pour recevoir des prestations :

  • De faibles niveaux d’alphabétisation ou l’incapacité de communiquer dans l’une des langues officielles du Canada;
  • Une réticence à divulguer au gouvernement des renseignements personnels ou de nature financière;
  • L’obligation de produire une déclaration de revenus pour accéder aux prestations;
  • Le processus complexe de demande de certaines prestations;
  • L’exigence de fournir des renseignements d’identification ou des documents additionnels, comme le numéro d’assurance sociale;
  • L’accès limité aux services financiers (comme à un compte bancaire dans lequel les prestations pourraient être déposées automatiquement);
  • L’emplacement géographique ou l’éloignement.

Bien que tout ce qui précède semble constituer des obstacles, le défaut de produire une déclaration n’est pas, à proprement parler, un obstacle.  Il s’agit simplement de ne pas prendre certaines mesures.  Plus précisément, si la production d’une déclaration est une condition nécessaire pour accéder aux prestations ou maintenir l’accès à ces prestations, les obstacles à la production d’une déclaration doivent être éliminés si l’on veut que les populations difficiles à joindre aient accès aux prestations ou qu’elles y maintiennent.

Les organismes d’accueil du PCBMI savent que l’un des principaux obstacles à la production d’une déclaration est le manque de services gratuits de préparation de déclaration.  C’est pourquoi ces organismes offrent des services du PCBMI : ils comprennent que, pour les clients qu’ils desservent (dont beaucoup appartiennent carrément aux populations identifiées par la VG), fournir ce service gratuit est essentiel pour obtenir des prestations fédérales, provinciales ou territoriales qui contribuent à réduire la pauvreté fondée sur le revenu.

Prenons un moment de recul pour voir en quoi cela est pertinent pour la question des non-déclarants.

Les non-déclarants, même s’ils ont un revenu faible ou nul, sont toujours admissibles à certaines prestations. Ils peuvent être âgés de 65 ans ou plus, auquel cas ils sont admissibles au SRG.  Ils peuvent avoir des enfants de moins de 18 ans, auquel cas ils sont admissibles à l’ACE et au BEC.  Ils peuvent travailler à temps partiel, auquel cas ils sont admissibles à l’ACT.  Mais même si aucun de ces éléments ne s’applique à leur situation, ils seront toujours admissibles à certaines prestations fédérales, provinciales ou territoriales.

Voici quelques-unes des prestations les plus courantes :

*prestation fondée sur le revenu (c.-à-d. que le niveau de prestations diminue ou disparaît complètement à mesure que le revenu du ménage augmente)

Bon nombre de ces prestations sont fondées sur le revenu, ce qui signifie qu’elles sont conçues expressément pour augmenter à mesure que le revenu du ménage diminue.  En d’autres termes, ils contribuent, à différents degrés (selon la prestation), à réduire la pauvreté fondée sur le revenu du bénéficiaire.

Si l’ARC réussit à amener les non-déclarants à produire une déclaration, elle augmentera le pourcentage de la population admissible qui bénéficie d’une protection en matière de prestations.  En somme, l’utilisation des prestations est importante pour aider à réduire la pauvreté fondée sur le revenu des non-déclarants.

L’utilisation des prestations

Quels ont été les taux d’utilisation des prestations de l’ARC (et d’EDSC) pour les populations difficiles à joindre?

Voici la principale conclusion de la VG (avec notre propre accent ajouté) :

« Le gouvernement estime que, dans l’ensemble, une grande proportion des populations à faible revenu reçoit les prestations qui visent à réduire la pauvreté. Toutefois, nous avons constaté que le Ministère et l’Agence n’avaient pas de vue d’ensemble précise et complète des groupes de personnes qui ne recevaient pas les prestations auxquelles ils pourraient être admissibles. Les estimations surévaluaient l’utilisation des prestations puisqu’elles ne tenaient pas toujours compte des personnes qui n’avaient pas produit de déclaration de revenus, une exigence pour obtenir la plupart des prestations. »

La VG a conclu que l’ARC (et EDSC) « ne disposaient pas d’une estimation complète des taux globaux d’utilisation des prestations retenues aux fins de l’audit. Le Ministère et l’Agence ne connaissaient pas non plus les taux d’utilisation des prestations de certaines populations difficiles à joindre qui doivent souvent surmonter des obstacles pour accéder aux prestations. »  Autrement dit, l’ARC ne savait pas quel pourcentage de l’ensemble de la population admissible recevait réellement les prestations, ni quel pourcentage des populations difficiles à atteindre qui étaient admissibles aux prestations le faisaient.

La VG a cité les estimations de 2017 de l’ARC indiquant que le nombre de personnes qui n’ont pas produit de déclarations était supérieur à 10 % de la population totale des personnes admissibles à produire une déclaration.  Toutefois, de l’avis de la VG, cela a sous-estimé le pourcentage de personnes qui étaient admissibles à l’ACE et à l’ACT mais qui n’en recevaient pas.

La VG a invoqué diverses raisons pour expliquer cet écart dans l’utilisation totale des prestations :

  • Certaines personnes choisissent de ne pas accéder aux prestations.
  • L’ARC (et EDSC) n’ont pu confirmer l’admissibilité aux prestations des particuliers qui ne produisaient pas régulièrement de déclaration de revenus ou qui n’avaient pas présenté de demande de prestations.
  • Statistique Canada ne peut pas communiquer des renseignements sur des personnes identifiables à l’ARC (et à EDSC) en raison des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la statistique.  (Bien que Statistique Canada puisse combiner les renseignements sur les personnes qu’il obtient de l’ARC et d’EDSC avec l’information qu’il possède sur les particuliers – comme les enquêtes ou le Recensement des populations – il ne peut partager les résultats que sous forme d’estimations pour les groupes.)

En somme, l’ARC ne connaît pas le pourcentage de la population admissible qui ne reçoit pas de prestations.  Mais la VG pense qu’il est supérieur à ce que l’ARC estime.

Pour revenir un instant à la question des non-déclarants : si l’ARC ne connaît pas l’ampleur de l’écart en matière de participation aux prestations, cela signifie qu’elle ne connaît pas le nombre de non-déclarants.  Sans connaître la taille et l’emplacement du nombre de non-déclarants, elle ne saura pas où concentrer ses efforts pour inciter les non-déclarants à produire une déclaration afin de recevoir leurs prestations.

Améliorer les estimations des écarts d’utilisation des prestations

Que fait l’ARC pour mieux comprendre l’ampleur de l’écart entre l’utilisation totale et l’utilisation réelle des prestations? La VG a constaté ce qui suit :

« [A]ucun progrès tangible n’avait encore été réalisé quant à la collecte, à la mesure ou à l’analyse des données sur l’utilisation des prestations. Nous avons également constaté que l’Agence du revenu du Canada n’avait pas clairement défini les responsabilités associées à l’amélioration de la mesure de l’utilisation des prestations parmi les administrateurs de programme de prestations, les porte-parole de la fonction de visibilité ministérielle et sa propre dirigeante principale des données. »

C’est très décevant.

Dans notre premier article de cette série, les lecteurs ont peut-être remarqué qu’en estimant le nombre de non-déclarants, nous avons utilisé les données fournies à Statistique Canada par l’ARC sur le nombre de déclarants au cours d’une année donnée et ce qu’on appelle le taux de « couverture ».  Il s’agit d’une estimation produite par Statistique Canada quant au pourcentage de la population admissible à produire une déclaration qui produit une déclaration pour une année d’imposition donnée.  Ce chiffre de couverture est très controversé car il n’est qu’une estimation; il n’y a actuellement aucun moyen de connaître le nombre exact.

Par exemple, pour l’année d’imposition 2015, Statistique Canada estime que le taux de couverture est de 95 % de la population admissible.  Autrement dit, on estime que 5 % de la population admissible ou 1,427 million de résidents sont des non-déclarants.  La plupart de ces non-déclarants sont probablement des personnes dont le revenu est trop faible pour être imposable.  Cependant, dans un article de recherche fréquemment cité sur ce sujet, Robson et Schwarz suggèrent que 10 à 12 % de la population admissible en 2015 n’a pas produit de déclaration.  Cela signifie qu’au moins 1,427 million de personnes de plus pourraient avoir été des non-déclarants pour cette année d’imposition.

La collecte et l’analyse de données sur l’utilisation de certaines prestations pourraient éclairer la question plus vaste du nombre de non-déclarants.  De même, l’élaboration d’une meilleure compréhension du nombre de non-déclarants pourrait éclairer les estimations des taux d’utilisation des prestations et les écarts de participation correspondants.

Conclusion

Dans le cadre de sa Stratégie de réduction de la pauvreté de 2018, le gouvernement s’est engagé à réduire la pauvreté fondée sur le revenu au Canada.  Il le fait principalement en offrant des prestations fondées sur le revenu aux résidents à faible revenu.  La principale façon pour les résidents à faible revenu d’obtenir et de conserver ces prestations, comme l’ACT et l’ACE, est de produire une déclaration.  Comme les non-déclarants ne produisent pas leur déclaration, ils ne reçoivent pas les prestations.  Si le gouvernement veut qu’ils touchent des prestations, il doit leur donner les moyens de produire leur déclaration.

Toutefois, si l’ARC ne connaît même pas l’ampleur du problème et ne fait pas grand-chose pour s’informer, elle ne peut mesurer l’efficacité de ses efforts pour le régler.

De toute évidence, l’ARC doit mieux comprendre l’ampleur du problème.  Mais il n’y a aucune raison pour laquelle elle doit attendre d’avoir de meilleures données avant d’essayer de s’attaquer au problème des non-déclarants.  Il y a beaucoup d’autres choses que l’ARC pourrait faire maintenant pour régler le problème. C’est le sujet du troisième et dernier article de cette série.


[i] EDSC permet également aux bénéficiaires du SRG de présenter un état des résultats distinct, au lieu de produire une déclaration, pour maintenir leurs paiements du SRG.  Toutefois, cela n’est pas bien connu et la plupart des bénéficiaires comptent sur la production de leur déclaration.  La plupart des bénéficiaires du SRG découvrent, lorsqu’ils cessent de produire leur déclaration, que leurs paiements du SRG sont interrompus et que ce n’est qu’une fois qu’ils sont à jour dans la production de leur déclaration que leurs paiements du SRG reprennent.

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